Les loups – Douleurs d’amour (version femme)

Prenez… Ceci est mon corps, ceci est mon sang. Le sang d’une alliance plus nouvelle et trop éternelle… Prenez ce corps inutile sans vous, ce sang refroidi de votre absence… Ce corps qui hurle dans la nuit et ce sang figé dans un cœur arrêté…

Prenez… Ceci est mon désespoir, ceux-ci sont mes yeux… Prenez les fenêtres de mon âme, murées comme celles des immeubles qu’on abat. Je suis une de ces bâtisses effondrées dans un grand craquement de fin du monde. J’ai été une poussière d’étoiles et ne suis plus que celle d’une démolition.

Prenez… Ceci est ma nuit, celles-ci sont mes mains… Combien de nœuds ont-t-elles coulé autour de vos poignets, de vos chevilles et de votre cou? Elles avaient découvert des trésors de douceurs et apprivoisé les érotismes les plus variés. Mais elles gèlent maintenant dans le plus sombre des hivers, les nerfs brûlés d’une glace sans pitié. Vous étiez leur raison, et maintenant la raison les ignore.

Prenez… Ceci est mon esprit, ceux-ci sont mes pieds. Ceux qui savaient courir de nuages en nuages et ne sont plus que le support du poids de l’ennui infini qui pèse à mes épaules… Ils ont brisé leurs ailes et gisent maintenant comme des tourterelles écrasées. Ces orteils que vous aimiez embrasser ne sont plus rien qu’un peu d’os et d’ongles que même les chiens ne voudront pas ronger.

Prenez… Ceci est mon cri, celles-ci sont mes hanches… Elles ne seront jamais fécondes de vous ni n’accueilleront la vie de vous… Elles sont un vide sidéral au centre de mon être, qui absorbe toute les énergies, les lumières et jusqu’aux rires des enfants. C’est une tombe que vous avez creusée dans mon ventre, et le cercueil de vos assurances envahit ce caveau que vos propres mains ont dégagé dans mes entrailles.

Prenez… Ceci est ma peau, ceux-ci sont mes seins. Pétris de vos mains, ils sont tout… Loin de vos paumes, ils me gênent. La moindre étoffe sur eux m’est insupportable, leur nudité me l’est plus encore. Je les arracherais volontiers quand ils réclament. Priveriez-vous un chaton orphelin d’un peu lait, des oisillons de la subsistance que leur mère morte ne peut plus leur apporter ? Non n’est-ce pas… Vous nourririez ces bébés avec compassion… Alors ? Pourquoi laissez-vous mes seins mourir de faim ?

Prenez… Ceci est ma joie, celles-ci sont mes cuisses… Ce livre prompt à s’ouvrir et dont vous arrachez les plus douces pages. Prenez n’importe laquelle de ces feuilles : sur chacune vous trouverez l’histoire de votre présence sur moi, les explosions que j’ai connues, les morts petites aux vertiges de paradis. Je sens que cette peau n’est plus qu’un peu de papier déchiré dont les textes s’évanouissent comme des paroles déjà oubliées.

Prenez… Ceci est ma vie, ceux-ci sont mes genoux. Condamnez-moi à un douloureux pèlerinage pour trouver soit votre corps soit ma déchéance. Sur mes rotules, je parcourrai le monde, j’irai mendier mes repas et je coucherai dans les étables. Prenez mes genoux pour me porter quelque part… Faites-moi traverser la Sibérie mais ne me laissez pas ainsi immobile pour l’éternité.

Prenez… Ceci est mon rêve, ceux-ci sont mes reins… La terminaison de toutes mes liqueurs. J’ai bu les mixtures de nos étreintes, la coupe amère de vos maitresses, le champagne de vos venues, les gouttes salées de nos sueurs… Mes reins, dernière étape avant que je ne rende à la terre ce transit où se filtre l’énergie de la passion et la nourriture de mon âme. Prenez mes reins ou donnez moi une lame que je les extrais moi-même pour les offrir à qui en aura besoin…

Prenez… Ceci est mon souffle, celles-ci sont mes respirations… Depuis que seul l’air me pénètre, je n’ai plus goût à l’être…  Le monde ne vient plus dans mes poumons que pour s’y débarrasser de rêves tellement décomposés que même les corbeaux les dédaignent… Mes inspirations sont mortes, seules mes expirations survivent…

Prenez… Ceci était ma fièvre, cela est ma lèpre… Donnez-moi une crécelle, que je prévienne les prochains hommes que je suis le Malheur, la Dévastation, le lac des pleurs et la montagne aux chagrins… Qu’ils me fuient et me rejettent sur ces moignons de membres au creux desquels vous avez aimé vous nicher.

Prenez… Ceci est mon corps, cela est mon être… Prenez le dedans de moi … Grattez ce qui reste accroché aux parois… Essuyez ce creux, ce vide, ce néant… Epuisez jusqu’à la dernière ces larmes rétives à sortir. Qu’elles se déversent maintenant sur la terre aride des étendues que vous laissez se désoler après vous !

Prenez… Ceci est mon tourment, cela est ma consolation… Je vous ai déjà tout donné… tout… et me voici encore encombrée de ce que vous laissez en souffrance…

Prenez…

Pour la dernière fois, prenez…

Qu’il reste à la fin encore moins que ce rien que je suis maintenant…

Ce texte est le pendant féminin d’un autre texte « Les Louves – Douleurs d’amour (version homme) », ancienne baptisée « L’ami consolateur ». Les deux peuvent être lu l’un après l’autre en se demandant si nous souffrons de la même façon, entre les femmes et les hommes.

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